Un grand tableau représentant Abraham et Isaac , attribué depuis longtemps à Antonio de Pereda (1611-1678) a souvent suscité des questions quant à sa paternité. Les attributions sont intéressantes par leur succession et leur récurrence. Superbe, de dimensions imposantes, de grande qualité, le tableau fait parti d’un ensemble considérable de peintures d’écoles diverses données, après avoir été en dépôt pendant près d’un demi siècle, par la Fondation Hoblitzelle au Dallas Museum of Art en 1987. Avant de s’attacher à la paternité de l’œuvre il est intéressant d’en retracer la provenance encore partielle.
La première mention de ces peintures, dites Hoblitzelle, se lit dans des inventaires fait à Lima au Pérou dans le magnifique palais de Torre Tagle, du nom de la famille qui le construisit et l’occupa au XVIIIe siècle. Un première inventaire a été établi entre 1872 par Bernardo Maria Jeckell (vraisemblablement un prêtre au service de la famille) puis un second en 1899 par un scribe anonyme. Par suite de mariages et d’alliances le palais était passé au début du XIXe siècle dans les mains de la famille Ortiz de Zevallos qui hérita du titre. La famille donna au Pérou des hommes politiques de premier plan. Paradoxalement l’origine de cette collection de peinture doit peu à l’Espagne. Au milieu du siècle, le chef de famille est alors Manuel Ortiz de Zevallos qui séjourna plusieurs années en Europe pour représenter son pays. Lors de ce long séjour il acquit en Angleterre comme en France et en Italie un quantité considérable d’œuvres de grande qualité. A son retour le palais compte près d’un millier de peintures où se mêlent, peintures andines, portraits d’ancêtres et peintures de maîtres. Sans que l’on puisse aujourd’hui en déterminer les provenances exactes, des mentions elliptiques évoquent le nom du cardinal Fesch ou d’une vente Curtis. En 1910, de nombreux tableaux sont dans une remise quand un jeune assistant du Metropolitan Museum of Art, Clarence Hoblitzelle, vient à Lima et fait l’acquisition de cent cinquante ou deux cents peintures de la collection Zevallos. Il les entrepose alors à New York puis 20 ans plus tard opère une sélection drastique pour ne garder que ce qu’il considère comme les meilleures œuvres. Clarence se retrouve ruiné quelques temps plus tard et c’est son frère Karl, opulent homme d’affaire de Dallas, propriétaire de chaines de cinéma et collectionneur lui-même, qui rachète cette collection et la met en dépôt permanent au Dallas Museum of Art. Quelques années après sa mort, en 1987, la fondation qu’il a créé décide de faire don de ces œuvres de manière irrévocable.
On le voit les tableaux de la collection Zevallos-Hoblitzelle ont connu de nombreuses vicissitudes et il est difficile aujourd’hui d’en retracer l’origine avant leur acquisition par Manuel Ortiz de Zevallos.
Dans les inventaires de 1872 et1899, le tableau est attribué à Titien. Plus tard il est donné à l’école hollandaise, puis plus précisement à Jan Lievens, attribution reprise par Charles Muskavitch (1903-2001), restaurateur et historien d’art, qui établi un catalogue tapuscrit de la collection Hoblitzelle. Etudié par Charles Sterling qui vient à Dallas en 1952 à la demande du directeur de l’époque Jerry Bywaters, il est attribué à l’école espagnole du XVIIe siècle. Dans la fiche dressée par Sterling ce dernier donne comme auteur le plus probable Antonio de Pereda mais préfère garder une attribution prudente d’école espagnole du XVIIe siècle. Alfonso Pérez Sanchez le publie en 1978 comme Antonio de Pereda dans le catalogue de l’exposition sur cet artiste. Perez Sanchez le publie alors comme Pereda et souligne« este importante lienzo constituye una de la mas notables aportaciones a nuestro conocimiento de Pereda” mais précise que l’oeuvre montre une connaissance inhabituelle du nu. Il rapproche le tableau de San Elias et San Eliseo de l’église del Carmen à Madrid.
Des remises en cause régulières de l’attribution à Pereda perdurent cependant jusqu’à nos jours. En 1997, un italien Franco Moro, le publie dans un magazine italien Carnet comme une œuvre de Gerolamo Forabosco (1605-1679).
En mai 2010, de passage à Dallas, Xavier Bray l’attribue à Diego Polo. Quelques mois plus tard José Antonio de Urbina de la galerie Caylus, 2010, l’attribue à la maturité de l’artiste Jan Lievens en le rapprochant d’une œuvre du même sujet au Braunschveig Herzog-Anton Ulrich Museum. Cela sans connaître l’attribution faite par Muskavitch au même artiste quelque cinquante ans plus tôt. Enfin Guillaume Kientz il y a quelques semaines acquiesce, devant le tableau, à l’attribution traditionnelle à Antonio de Pereda.
On le voit à la lecture de ce rappel des variations de paternité, le tableau reste questionné. La taille, la stature des personnages, le rendu des riches étoffes, la connaissance du nu, se distinguent sans aucun doute des œuvres habituellement données à Pereda. On pense à une influence de Ribera dans le traitement des chairs mais un naturalisme hollandais, une épaisseur du naturalisme surprennent. Le tableau d’une extrême qualité intrigue. Il mérite en tout cas d’être mieux étudié et plus largement diffusé.
Olivier Meslay
Le sacrifice d’Isaac
Huile sur toile
2,15 m x 1, 58 m
Au dos sur la toile originale les lettres G L v S et ailleurs Aj
Bibliographie : Alfonso Perez Sanchez, D. Antonio de Pereda y la pintura madrilenia de su tiempo, Madrid, Museo del Prado, 1978. N°34 du catalogue ; Painting in Spain, 1650-1700, from North American collection, Princeton et Detroit, 1982, n°. 38 ; Diego Ungulo Iniguez, Alfonso Perez Sanchez, Historia de la pintura espanola, escuela madrilena del segundo tercio del siglo XVII, Madrid 1983, p. 177-178 ; Anne Bromberg, Dallas Museum of Art, Selected Works, 1983, n°105.
Merci Olivier ! Il me semble en effet qu’on n’est pas très loin de la Libération de saint Pierre du Prado : http://www.museodelprado.es/coleccion/galeria-on-line/galeria-on-line/obra/san-pedro-liberado-por-un-angel-1/
Débat passionnant (et beau tableau !) quoiqu’il en soit
A suivre …